Bannis par les dieux et les déesses, abandonnés aux ténèbres et à l’oubli, asservis par des forces illégitimes… Quel autre choix que de suivre la flamme de la vengeance ?
Une flamme capable, d’un souffle, de déchirer la trame du monde et de renverser les puissants. Elle consumera les peurs, les doutes, la faiblesse… Il ne restera que le pouvoir et l’ambition d’un feu insatiable, exigeant toujours plus, PLUS D’ÂME, PLUS DE SACRIFICES ! La destinée de ceux qui oseront y plonger promet d’être grandiose, car pour saisir le monde, il faut parfois mettre sa main dans les braises… au risque de s’y laisser consumer.
Région de la colline aux hurlements, Jour 28 du mois d’Aprilis de l’an 154 durant l’âge du soleil
Gruh’hun n’était pas un village belliqueux, loin de là. C’était un havre niché dans les vallées pour ceux que le monde refusait. Un recoin d’herbes hautes et d’argile malléable, bâti sur les ruines d’un temple que la nature avait recouvert de mousse et de légende. C’était leur terre, pas une tanière de passage, mais un foyer doux, figé dans le temps. Loin des monstres qui peuplaient Obéon, loin de la haine de ce monde.
Les clairières de la région résonnaient des rugissements rauques des hommes bêtes d’Obéon, rassemblant leurs troupeaux de sangliers féroce sous l’œil attentif des gores du territoire. Les enfants-bêtes, aux membres caprin et aux rires rauques, jouaient à pourchasser les lucioles entre les racines géantes des arbres noirs et à la lueur du soleil. Les mères, charnues et robustes, récoltaient les herbes médicinales pour les baumes, tandis que les anciens gravaient ou peignaient des symboles dans la pierre, priant le Sabot pour que la lune meurt et que le soleil renaisse. Ils n’avaient pas fait comme les autres, fuis leurs régions et se réfugiant dans la forêt, c’était LEUR terre, et ce depuis des générations.
Ils ne comprirent pas d’abord. Quand le ciel se teignit de couleurs étranges à l’Est, comme une plaie mal fermée qui suintait et qui se nécrosait au fil des jours. Ils ne comprirent pas quand les arbres perdirent leur peau comme s’ils s’étaient dotés de griffes la nuit et qu’ils s’étaient grattés, grattés, à sang, jusqu’au plus profond de leur être. Ils ne comprirent pas quand la terre devint molle et chaude, comme la chair d’un animal mort depuis trop longtemps … Ils ne comprirent pas quand les oiseaux tombèrent et les pierres pleuraient du sang noir … C’était sûrement un avertissement du sabot, à cause de ses étrangers, ces envahisseurs !
Ce jour-là, nul n’imaginait ce qui allait ressurgir des entrailles du monde.
Dans une vallée encore verte, non loin du village, entre les souches moussues et les grands arbres noirs noueux, deux enfants-hommes-bêtes couraient sous la lumière pâle d’un soleil qui n’était point de saison.
La plus grande, Kraa, avait à peine huit printemps. Son museau était taché de boue séchée, ses petites cornes pointaient à peine de son crâne laineux et duveteux, et elle riait à pleins crocs. Qu’elle était heureuse car ses pattes griffues serraient la main de son petit frère, Bruk, né de trois printemps à peine, tout juste capable de trottiner derrière elle. Lui aussi riait, avec cette innocence complètement palpable, le regard rivé sur les insectes qu’il poursuivait à travers les feuilles mortes avec sa soeur. Au loin, les bruits familiers du camp de plusieurs centaines d’hommes bêtes résonnaient, les éclats de voix des mères tressant les crinières des autres enfants près du feu central ou les membres de la tribu faisaient rôtir d’ énormes gros et gras sangliers. L’air sentait la suie, la graisse, la joie, la vie. C’était leur foyer, rude, mais que souhaiter de plus?
Kraa, dans un élan joyeux, grimpa sur un tronc renversé.
– “Regarde, Bruk ! Je suis le grand Sabot ! Je commande aux membres de toutes les tribus ! Que ceux qui détruisent et pillent nos terres s’en aillent sous ma toute puissance !”
Le petit applaudit, ainsi que les autres enfants, les sabots frappant le sol à répétition. Kraa ferait une chef de guerre respectée plus tard.
Puis ils s’arrêtèrent de taper net.
Bruk le sentit dans son échine, ce frisson qui parcourt votre peau lorsque vos sens s’emballent, lorsque quelque chose de glacé vous lèche la peau. Un silence, anormal, profond, pesant se fit entendre dans la vallée. On n’entendait plus les cigales chanter, ni les oiseaux piailler. Comme si la vallée entière retenait son souffle.
Et puis, soudain un grondement. Lointain. Comme un coup de tonnerre avait résonné.
Puis un autre, imperceptible d’abord, puis il devint régulier, comme un tambour de guerre.
Ses coups de tambours étaient suivis d’autres, plus distinct, plus proches comme si un troupeau de monstres en furie approchait, des centaines, des milliers, ils résonnèrent, comme si la terre tremblait d’elle-même.
Bruk cessa de sourire depuis longtemps. Il leva les yeux vers sa sœur, ses petites narines frémissantes.
– “Kraa… regarde”
Au sommet du col, ils apparurent …
Un et puis un autre, encore et encore, jusqu’à ce que le sommet de la vallée devienne noir …
Des silhouettes obsidiennes, imposantes, hautes comme un gore, déformées par les chaînes qui les constituaient apparurent. D’armure fondue à même leur peau, hérissées de pointes ensanglantées, marchant comme une meute de fauves affamés, elles étaient prêtes à sauter à la gorge de quiconque. Leur regard braisé fixé droit devant elles, étaient comme une mers de lucioles frénétiques chassés par le vent. A leurs pieds étaient des guerriers et guerrières de toutes races enragées, vociférant des mots dans un langage inconnu, crachant et hurlant des noms qui furent oubliés depuis trop longtemps, a raison. Des cornes étaient accrochées à leur ceinture … Mais aussi des têtes .
Puis le lourd fracas dont on ne devinait pas l’origine se fit reconnaître, au centre de la troupe. Une silhouette avançait pas à pas, prenant de la taille à chaque battements de cils, un géant, un colosse, un véritable titan. Un amoncellement de chairs et de morves, de boursouflures suintantes et de cloches pendues comme si des intestins pourris s’étaient amoncelés en une forme grotesquement humanoïde, ce spectacle macabre dont le seul but serait de vous faire vomir. Un œil géant pulsait sur son ventre et se promenait le long de sa chair, et sa gueule morveuse immense chantait une litanie accompagnée à chaque syllabe de mouches et de larves pourries. “ VRUTTAX A FAIM, TRÈS FAIM ! “
Kraa tomba à genoux. Bruk hurla. Ils étaient trop loin du village principal.
D’un réflexe elle prit son frère dans ses bras. Courut. Courut de toutes ses forces. Derrière elle, un son guttural, se fit entendre, un peau-verte leva son arme et l’armée dévala la pente à l’unisson dans un vacarme assourdissant. Sur le passage les arbres explosèrent, l’herbe brûla sous les pas, la mort, la destruction imprégna littéralement la colline.
Les plus lents fuyards furent happés par des chaînes accompagnés de rires déments. Des lambeaux de chair et d’os volèrent accompagnés de craquement et de bruits de sussions inhumains.
Les guerrières et guerriers qui les accompagnaient, à moitié nus ou en armure lourde, enfoncèrent leurs armes dans tout ce qui était vivant sur leur passage. Les enfants-hommes-bêtes, les nourrissons, les vieillards… tous devenaient offrande à moins de pouvoir avoir une utilité.
Mais les chefs de guerre, aveuglés par la soif de domination ou leur magnanimité, n’avaient pas prévu que leurs propres horreurs réclameraient PLUS. Le colosse de chair, affamé par la traversée et s’étant nourri de peu de personnes pendant la campagne, s’étant vu interdire de manger les civils quand il fit route avec Snorko l’puant du nombril, se retourna contre les cages de captifs et les propres troupes de Snorko, les broyant entre ses mâchoires dégoulinantes. Quant aux bêtes enchaînées, elles hurlaient de faim, et dans leur rage insatiable, déchirèrent les prêtres et les soldats proches. Atteignant le village, les ordres hurlés n’étaient plus entendus, la ligne de front se fendit, non sous l’assaut de l’ennemi, mais sous le chaos intérieur, les monstres dévorant leurs propres troupes, les guerriers piétinés par les abominations qu’ils croyaient dominer. Il n’y avait plus de sens, seulement la faim, le sang, et la folie. De par leur semblant de bonté, les chefs avaient perdu le respect de beaucoup.
Plus loin, à la lisière de la forêt, Kraa trébucha. Bruk vola de ses bras.
Elle voulut crier, mais une main gantée de fer l’empoigna par la corne fermement et la souleva du sol.
Son dernier souvenir fut le reflet de sa peur dans le casque d’un guerrier rouge aux yeux injectés de sang.
Et sa voix grave, une voix implacable.
– “Aucune paix pour les faible rejetons de ce monde. QUE VOTRE SANG ABREUVE VORKHAL ”
Puis vinrent le silence, la vision de Kraa devint mouvementée, comme si elle tombait sans rien éprouver d’autre que sa haine. Sa vision s’arrêta au niveau du sol, c’est bizarre, elle voulut courir, mais ne sentit plus rien. Au loin, elle vit dans les frondaisons les sylvestres, les regardant, s’enfoncer dans leur forêt. Elle jura puis s’éteint.
Gruh’hun brûla trois jours.
Ainsi que les villages voisins.
De toutes ses collines, Il ne resta rien.
Plus de clairière. Plus de rires. Plus de chants.
La cendre couvrit la vallée comme une neige morte. Les arbres, tordus, sont désormais couverts de visages pétrifiés et de corps pendus par leurs tripes. Les ruisseaux charriaient des cadavres au lieu de galets. On raconte que des hurlements lointains résonnent encore parfois la nuit ou bien est-ce le vent qui traverse les os des milliers de restes blanchis.
Ce fut la fin d’un monde.
Pas le vôtre.
Pas celui des vivants.
Mais celui d’un peuple.
D’un espoir.
Et les Dieux responsables de ce carnage, burent à leur gloire.
ça croque sous la dent
Magnifique manoeuvre Militaire !