Chronique I : La Déferlante

Il était déjà tard dans l’après-midi lorsque Eberhard Stridia entra dans la salle des archives de la cour des blasons. Il s’assit en bout de la grande table en chêne ithorien d’Obéon, sans un mot pour ses collègues, et sortit de son sac un fatras de registres et de parchemins. “Pourquoi Daruan est-il dans le coma à un moment pareil“ * soupir*… Après quelques secondes de recherche silencieuse, il déroula un rouleau sur son écritoire. après s’être raclé la gorge, il prit la parole

“Bon ! J’espère que cette fois-ci on tombera d’accord et qu’on arrivera à clôre ces registres” annonça-t-il sur un ton sec. “Je déclare la septième session de travail ouverte !”

En effet, le groupe de la cour des blasons devait rédiger les annales d’Obéon et les historiens locaux n’arrivaient pas à se mettre d’accord. Il est vrai que le chaos ambiant et les nombreuses escarmouches et échauffourées récentes ne faisaient rien pour leur faciliter la tâche. L’établissement des différentes colonies avaient ramené les différences de culture et de culte de Frayir à Obéon au premier plan, chaque recoin était une véritable poudrière prête à exploser…

“Chapitre VI, la deuxième vague de colons.” Soupir “On était bien d’accord qu’on comptait toutes les races humanoïdes avec un minimum d’intelligence monseigneur Kaël ! Donc les six orcs et hommes bêtes ivres de votre cru arrivés le seize, ça compte dans la catégorie bétail … Et oui, Feldor, malgré votre animosité, on compte quand même la délégation des vingt-trois pèlerins de Jiva voulant convertir les hommes-méduses avant d’être inscrit officiellement au registre. On est donc à mille huit cent quarante sept individus arrivés par Port-Argent au début du quatrième trimestre. Et ça, malgré la période de rétention par Port-Argent pour contrôler les individus … ”

En effet, Port-Argent en réplication de son rejet par une partie des colons actuels, retiennent les migrants en provenance de Frayir et les “ invitent” à participer à la vie économique de la ville en attendant de les envoyer dans la province … Officiellement, pour étoffer la ville, non officiellement, pour vérifier voir emprisonner tout mutant ou rebelle qui pourrait  déstabiliser encore plus la région …

Eberhard avala une grande lampée du breuvage que Kaël Beaujolais de la cour venait de lui apporter pour le réconforter. Il fouilla un instant dans les papiers qu’il avait disposés sur la table de travail il y a déjà près d’une heure et en sortit un carnet à la couverture rouge.

“Attaquons les bilans des conflits de cet automne.”

Aldrim Drégorne, un mage de la cour, leva la main avec une certaine assurance.

“Ouiiii ?” “

“Je voudrais d’abord clarifier les mouvements des frontières pour attribuer les comptes aux bons registres”

*Gros soupir d’Eberhard*

“On ne peut pas faire de miracles, répliqua Aldrim. Les colons se sont installés un peu n’importe où dans le plus grand opportunisme. On a rapporté qu’un hameau a changé d’allégeance et de propriété douze fois depuis le début de l’année. À part si tu peux faire parler les morts, ça va être compliqué d’attribuer des comptes précis aux différentes factions. Et non, les faire relever n’est pas une option !”

Un autre novice qui n’avait encore rien dit et qui voulait l’interpeller avant la dernière injonction s’enfonça dans son siège tout penaud.

“Bon ! Les comptes ! Les échauffourées aux frontières de la Nouvelle-Vry et des Steppes, Feldor, on est à combien en date du vingt-deux ?”

“Vingt-trois hommes bêtes des registres ; seize non-enregistrés, probablement venus des terres sauvages ; six hybrides, des mutants … inclassables. Il reste encore un charnier à explorer au sud du Lac des tribus des steppes. Il y a aussi cette histoire de mort suspecte d’un dignitaire suite aux tensions avec et entre certains groupes d’Avalon, mais ça pourrait être n’importe qui ou quoi … En termes de mouvements, c’est compliqué de compter. J’ai des familles d’hommes-bêtes de la Nouvelle-Vry qui chassent les hommes-bêtes des Steppes sur la rive Nord-Est pour s’installer sur leurs terres revendiquées par le grand Khan Audax Pardux et j’ai des mouvements qui viennent des Terres Sauvages et des Ka Lûa Ikongar dans la région pour essayer de repousser la colonisation. J’aurai plus de précisions le mois prochain … Mais jusque-là, les chevaliers de Saint-Jean et Castebrie ont la situation en main.”

“On s’était arrêtés au dernier jour du troisième trimestre pour les zones contestées. Quand je cite vos zones d’expertise, prenez la parole dans le sens horaire de la table et, par pitié, soyez concis, on ne prend en compte qu’un mois à la fois.”

On sentait une pointe de dépit dans la voix d’ Eberhard, fatigué et surmené.

“Les terres de l’est le long de la première route ?”

“J’ai une escarmouche le trois, pas de pertes. Un raid d’hommes bêtes, cinq maisons brûlées et vingt-six paysans morts pour Avalon, le dix-huit. Il y a eu dans la nuit du vingt-deux au vingt-trois une expédition de représailles qui se serait soldée par un troupeau dispersé, une forêt en feu et un charnier d’hommes bêtes … À savoir de Frayir ou d’Obéon … Là est la question … “Ah oui, c’est plus fâcheux … J’ai aussi des morts-vivants qui ont été brûlés vifs …”

“Merci, Feldor. Les terres à l’ouest de Bélème ?”

“Oui, Rein Vorag ?” Eberhard se raidit sur sa chaise …

“J’ai six pèlerins des portes de la grâce massacrés dont deux prêtres de Lekki de Haut-Rempart. Je ne sais pas dans quelle case je dois les mettre, surtout qu’il y en a un qui s’est relevé après s’être battu avec un mutant qui habitait au Nord chez ces … Hérétiques. J’ai aussi des hommes-champignons de la Forêt, qui se sont fait piétiner par des habitants de Défiance poursuivis par des hommes bêtes sur la nouvelle route qu’ils construisent. ils étaient neuf, mais ils sont complètement identiques puisqu’ils se répliquent, donc … ça NE compte que pour un ?”

Un rire se fit entendre à l’unisson. Avec la centaine de cadavres mensuels, ils n’étaient pas couchés …

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